Exultet
Pour moi qui suis prêtre, mais peut-être aussi pour vous, croyants de tous horizons, ce soir est un des moments le plus fort de notre année, la célébration de la veillée Pascale.
Dans cet office tout me touche, le rassemblement près du feu et puis l’entrée dans l’église sombre, le chant qui s’élève, incertain d’abord, puis de plus en plus ferme et joyeux.
Christ est ressuscité, alléluia, alléluia ! Au bout de nos mains danse la lumière des cierges que nous portons. L’Exultet que nous chantons a déjà 6 couplets, mais je me suis déjà dit que j’aimerais parfois qu’il en comporte le double ou le triple, et je ne me lasserai pas de le chanter. De ma place je vois toutes ces flammes plus fortes que la nuit, je distingue les visages amis et la joie qui se communique de l’un à l’autre sans en oublier aucun. Que ces instants sont beaux !
Ce soir pourtant, vous le savez bien, il faudra se passer de cette expérience, poursuivre notre chemin sans avoir pu puiser à cette source sonore, visuelle et si sensiblement profonde.
Au regard de l’épreuve qui frappe notre monde, cette péripétie qu’est l’impossibilité de pouvoir célébrer la fête de Pâques pourra nous sembler bien mince, d’une certaine manière cela serait même souhaitable. Comment allons nous nous plaindre quand tant d’habitants de notre terre se trouvent confrontés au malheur dans le dénuement et la précarité la plus extrême ?
Et quand bien même il ne nous sera pas possible de chanter, cela remet-il en cause la résurrection de Jésus ?
Voilà une question qu’il convient de se poser, car s’il est bien vrai que notre foi a besoin de signes sensibles, il nous faut aussi mesurer qu’ils n’en sont pas l’unique condition, ou bien alors nous nous trompons, nous confondons confiance et émotion.
En fait, pour ne pas être privé de l’énergie joyeuse de l’annonce Pascale j’ai commencé de me construire un exultet en image.
Voir les bougies qui s’élèvent dans nos mains ce n’est quand même pas si difficile, mais pour que cela ait encore plus de sens je prévois que chaque lumière puisse évoquer réellement un témoignage de Vie reçu depuis cet instant où nous avons dû nous résoudre à vivre chacun replié dans notre maison. Sans vraiment chercher trop loin, plusieurs initiatives dont j’ai bénéficiées se présentent à ma prière, l’exultet de ce soir sera donc lumineux c’est certain.
Il paraît que dans les villes de notre pays, là ou contrairement à chez nous l’habitat est dense, chaque soir à 20h les habitants sortent sur leur balcon, ou bien se postent à leur fenêtre. Munis d’instruments de musique, ou le plus souvent d’objets beaucoup moins mélodieux, ils se manifestent et applaudissent avec ferveur.
Selon ce que j’ai compris c’est une manière de dire merci aux soignants de nos services de santé qui se dévouent corps et âme pour sauver des vies. Il paraît encore que les enfants ne sont pas les derniers à s’exprimer ainsi. Même si je n’ai ni vu de mes yeux, ni entendu de mes oreilles ce joyeux tintamarre j’entrevois tout ce qu’il y a la dedans de profond et qui révèle ce qui est beau en nous.
Moi aussi je veux dire merci aux soignants et à toutes celles et ceux qui se dévouent au delà de toute fatigue pour notre santé, pour notre personne.
Pour autant, et sans m’approprier ce qui ne n’est pas à moi, je me demande si finalement l’exultet joyeux que je croyais disparu ne s’est pas répandu dans nos villes, et s’il ne raisonne pas chaque soir à 20h bien plus fort encore que je ne l’avais jamais entendu jusqu’ici.
Merci à toutes ces femmes, à tous ces hommes qui gardent en eux, envers et contre tout, le cap du service et merci à notre Dieu pour la Vie qu’il nous communique, plus forte que toute mort.
Mathias, samedi 11 avril 2020