Un conte de Noël
Le parfum de Noël
Il y a belle lurette que je n’entends ni ne vois plus rien... Le flair, il ne me reste plus que ça. Alors je traîne ma truffe par les chemins pour sentir et ressentir. Mon monde a la couleur des odeurs. Cela suffit au vieux chien de berger que je suis.
En cette nuit très douce, j’ai suivi mon pasteur. Mon maître était tout imprégné de l’odeur de ses brebis. Le bouquet familier du musc, de la laine et de l’herbe sèche.
Nous étions curieusement nombreux sur les sentiers ce soir-là. Mille fragrances flottaient au-dessus de la terre remuée. La senteur de la foulée humaine, le fumet des troupeaux, les fleurs inexplicablement écloses...
Les étoiles scintillaient certainement dans le ciel de Bethléem, elles déversaient sur la campagne une huile délicieusement parfumée. L’arôme indéfinissable devenait plus entêtant, au fur et à mesure que nous nous rapprochions de ce lieu où tous convergeaient.
Nous sommes arrivés devant l’étable. Oui, c’était bien une étable. Je reniflais l’odeur de la paille fraîche, le feu qui crépitait dehors, le crottin, l’haleine tiède d’un bœuf, les flancs moelleux d’un âne...
Et subitement, je fus pris d’un doute. Une étable ? Vraiment ? N’était-ce pas plutôt un temple ? Maintenant que j’étais entré, je reconnaissais la senteur exquise de la myrrhe. Une brume amère, boisée et humide... Des vapeurs d’encens montaient dans les coins comme des prières. Mon flair n’était-il pas en train de me trahir à son tour ?
Pour ajouter à ma confusion, des doigts lourds de bagues se posèrent sur ma tête... la main qui me caressait exhalait un parfum exotique et suave. L’homme au parfum assurément précieux avait deux compagnons ; la barbe de l’un dégageait des effluves fruités et épicés, je distinguais dans le vêtement de l’autre des essences orientales. Un je ne sais quoi de... magique et d’étoilé... Je m’assis près d’eux en rêvant qu’ils étaient trois rois étrangers en voyage... Je divaguais.
Trop d’anomalies olfactives... Je me réfugiai au fond de l’édifice pour me ressaisir... La tête me tournait agréablement. Je zigzaguais sous la voûte des mondes, humant le parfum des anges et des siècles à venir. Le futur ruisselait de cannelle, de girofle, de mousse verte... Je devinai encore le parfum de l’orange et du sapin.
Les odeurs vous emportent toujours ailleurs, mais je devais revenir au présent ! Je voulais sentir le cœur du mystère ! Je m’approchai silencieusement, attiré par le souffle floral d’une jeune femme. Frisson de la rose et... du lait... une mère donc ! Ce qui émanait d’elle était si délicat, si émouvant... J’aurais pu l’appeler odeur de sainteté.
Tout près, se tenait l’époux. Il fleurait la résine et le lys puissant... sciure et sueur en note de cœur. Ce bon père avait dû courir cette nuit. Mais l’inquiétude avait laissé place à la paix. Le couple adorait l’enfant.
Je comprenais que c’était pour lui... que bergers et rois, anges et animaux s’étaient réunis ce soir. Je respirais son parfum... divin. Ce nouveau-né sentait le pain chaud. Je vis le grain broyé, la miche partagée. Enveloppé par la brise légère de son esprit, j’inspirai... encore... ce baume de pur amour qui se répandait aux confins de l’espace et du temps.
Judith Bouilloc
Auteur des Maîtres du Vent, roman ado paru aux éditions Artège, elle a écrit sous le pseudonyme Sacha Rité La crèche perdue, paru aux éditions Téqui.